LES ILLUSIONS DU SOMMEIL:

SORCIERES ET POSSEDEES

 

 

 

 

Les illusions du sommeil ont eu, autrefois, des conséquences d'une extrême gravité. N'est-ce pas à elles, n'est-ce pas aux rêves qu'il faut attribuer, pour une bonne part, le délire de ces malheureux qui, entretenus sans cesse du diable, de ses pompes, de ses oeuvres, des artifices qu'on disait en sa puissance pour tromper et tourmenter les hommes, s'imaginaient avoir été au Sabbat, racontaient de prétendues scènes auxquelles ils avaient assisté, où ils avaient été acteurs; dénonçaient les personnes qu'ils assuraient y avoir vues et que, à l'envi, prêtres et magistrats envoyaient aux bûchers?

Il était dangereux de s'élever contre les idées régnantes. Des hommes courageux se sont cependant rencontré à toutes les époques pour combattre ces cruelles erreurs, et parmi eux figurent au premier rang et en plus grand nombre, les médecins.

En 1453, Edeline ou de Line, docteur en Sorbonne, ancien prieur d'une communauté religieuse, soutenait «qu'il y avait de la cruauté à faire périr tant de gens que les illusions des sens ou du sommeil entretenaient dans une funeste erreur de jugement».

Bodin (J.), qui fut procureur du roi à Laon, était loin d'être de cet avis, et il déclare qu'il a compose son livre De la Démonomanie des Sorciers (Paris, 1580) :

« En partie aussi pour répondre à ceux qui par livres imprimés s'efforcent de sauver les sorciers par tous moyens: en sorte qu'il semble que Satan les ay inspirez et attires à sa cordelle, pour publier ses beaux livres, comme était un Pierre d'Apone Médecin, qui s'efforçait faire entendre qu'il n'y a point d'esprits et néanmoins il fut depuis avéré qu'il était des plus grands Sorciers d'Italie. Et afin qu'il ne semble étrange ce que i'ay dit, que Satan a des hommes attitrez pour écrire, publier et faire entendre qu'il n'est rien de ce qu'on dit des Sorciers, Je mettrai un exemple mémorable, que Pierre Mamot en un livre des Lamies (on sait que l'on désigne les sorcières sous différents noms : Lamies, Lycanthropes, Malfaitrices, Nestrigones, Striges, Tempestières, etc.)  a remarqué d'un nommé M. Guillaume de Line, Docteur en Théologie, qui fut accusé et condamné comme sorcier le douzième décembre, mille quatre cent cinquante trois, lequel en fin se repentit et confessa avoir plusieurs fois été transporté avec les autres sorciers la nuit pour adorer le Diable, qui se montrait quelquefois en forme d'homme et quelquefois en forme de bouc »

Edeline ou de Line finit ses jours dans l'obscurité d'un cachot froid et humide autant que malsain. Tout le monde connaît l'éloquent plaidoyer de Jean Wier en faveur des sorciers, qu'il s'efforce de faire considérer comme des malades (Histoires, Disputes et Discours des illusions et impostures des diables, des magiciens infâmes, sorcières et empoisonneurs : Des ensorcelez et démoniaques et de la guérison d’iceux. Item de la punition que méritent les magiciens, les empoisonneurs et les sorcières; par Jean Wier, médecin du duc de Clèves; 1579)

Duncan, médecin de Saumur, a combattu la réalité de la possession des Ursulines de Loudun. Yvelin, médecin de Paris, a combattu la possession des religieuses de Louviers, etc.

Mais revenons à l'exposé de quelque faits, montrant où menaient naguère les conceptions qui naissent dans le cerveau durant le sommeil. Nous empruntons le premier à Bodin, le terrible ennemi des sorciers :

« Je tient du Président de la Tourette, qu'il a vu en Dauphiné une Sorcière qui fut brûlée vive, laquelle étant couchée au long du feu, fut ravie en extase, demeurant son corps en la maison. Et parce qu'elle n'entendait rien, son maître frappait dessus à grands coups de verge et pour savoir si elle était morte, on lui fit mettre le feu aux parties les plus sensibles: pour tout cela elle ne s'éveille point. Et de fait le maître et la maîtresse la laissèrent étendue en la place, pensant qu'elle fut morte. Au matin elle se trouve en son lit couchée. De quoi son maître ébahi, lui demanda ce qu'elle avait eu: Alors elle s'écria en son langage.: Ha mon maître tant m'avez battue? Le maître ayant fait le compte à ses voisins, on lui dit qu’elle était Sorcière. Il ne cessa qu'elle ne lui eut confessé la vérité et qu'elle avait été de son esprit en l'assemblée des Sorciers. Elle confessa aussi plusieurs méchancetés, qu'elle avait commises et fut brûlée »

Nous avons souvent raconté, en abrégé, les sensations voluptueuses éprouvées par les hystériques, soit dans leur délire, soit sous l'influence de l'éther, soit enfin durant leur sommeil: le fait ci-après démontrera qu'il en était de même chez certaines femmes réputées sorcières et qui n'étaient que des hystériques:

« Le cardinal Caietain, qui est Thomas de Vio, dit avoir connu une femme amoureuse à l'extrémité, d'un jeune bomme, et que le Diable l'oignit d'un certain onguent, lui persuadant qu'il la mènerait en la maison de son amoureux. Et de fait, cette femme ayant été longuement en extase, et retournant à soi, asserait avoir couché avec son ami, et ne lui pouvait-on ôter de la fantaisie le contraire l'ayant trouvée toute nue en son lit, si enrhumée au demeurant, qu'il lui fut besoin de garder le lit fort longtemps. Et fut bien empêché le Caietain de faire voir au doigt et à l’œil, et par vives raisons, à cette pauvre femme abusée que ce qu'elle pensait avoir vu n'était qu'une imagination simplement» (Le Loyer, Discours et histoires des spectres, visions et apparitions des esprits, anges, démons et âmes se montrant visibles aux hommes, Paris, 1605)

Une des malades dont nous avons relaté l'histoire et bien connue sous le nom de Geneviève, a été sujette, et pendant longtemps, à des hallucinations génitales tout à fait semblables.

« Caietain fait aussi mention d'une autre femme qui s'était aussi vantée qu'elle allait aux Sabbat non en esprit mais en corps: elle fut si impudente qu'elle assigna le jour et l'heure qu'elle y devait être transportée de sa chambre. Ceux qui avaient plus de soin de son salut qu'elle n'avait, l’espient soigneusement si elle disait vrai, mais rien moins, car elle fut trouvée insensible en la chambre, et après l'extase passée, elle fut convertie, en lui montrant que le Diable l'avait trompée et séduite »

Cette malade n'est-elle pas compare aussi à Geneviève, qui affirmait s'être rendue au domicile de son amant imaginaire, M. X, et qui écrivait à Mme X : « Rappelez-vous du soir, le 15 août, cette femme voilée que vous avez vu sortir de votre chambre, à qui vous avez livré passage, eh bien, c'était moi »

Plus nous comparons les récits des auteurs anciens sur les sorcières et les possédées aux observations que nous avons recueillies à la Salpetrière depuis dix ans, plus nous y trouvons de ressemblance. Le fond est le mème, les principaux symptômes sont analogues; ou gisent les différences, c'est, mais non toujours, sur les idées religieuses, les idées diaboliques: communes autrefois, parce que, à la veillée, à l'église, on entendait sans cesse parler du diable, des sorciers, etc.; elles sont devenues aujourd'hui plus rares.

Nous nous bornons à ces commentaires quant à présent, nous réservant de revenir, avec plus de détails, sur d'autres faits et, s'il y a lieu, sur la description du sabbat.