Etude de l'hystérie dans l'histoire |
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En rapportant l'histoire d'une des hystéro épileptiques les plus intéressantes du service de M. Charcot, Geneviève (voir tome 1, 1877), nous avons mentionné les singulières hallucinations qu'elle éprouve pendant la nuit et qui l'auraient fait considérer, il y a moins de deux siècles, comme une possédée.
Considérations sur Madeleine Bavent, Marie Alacoque, Madeleine de Cordoue.
L'histoire de Madeleine Bavent, l'une des principales victimes de la possession de Louviers, nous fournit de nombreux points de comparaison avec celle des malades de la Salpetrière et en particulier avec celle de Geneviève.
Madeleine était sujette à de fréquentes hallucinations de la vue :
« Le Démon, dit-elle, m'apparut pour la première fois sous la figure d'un chat de la Maison, qui mit deux de ses pattes sur mes genoux et les deux autres sur mes épaules, et approchant sa gueule assez près de ma bouche, avec un regard affreux sembloit me vouloir tirer la communion. J'y ai veu assez souvent comme un petit cerf-volant arresté sur la petite grille fort noir, qui se jettoit sur mon bras quand je voulois commencer à parler, me pesoit autant qu'une maison; me frappoit la teste contre les parois ; me renversoit par terre au parloir. Si je changeois de place, en espérance d'estre plus libre, je ne le voyois pas néant moins toujours, et cela n'empeschoit pas que je ne fusse mal-traittée, jusques à faire compassion, et donner de la pitié aux personnes. Les coups qu'on me donnoit estoient ouis, et on me voyoit toute meurtrie et livide, toute noire et plombée; toute gâtée et mal accommodée, sans sçavoir d'où pouvoient venir mes battures»
Les hystériques, fait souvent relevé par M. Briquet, M. Charcot et par nous, ont des hallucinations à peu près analogues à celles qui caractérisent le délire alcoolique, en ce sens qu'elles voient des animaux (chats, rats, serpents, insectes) ou des bêtes, monstrueuses. Les citations qui précèdent et la suivante témoignent que Madeleine Bavent est tout à fait dans la règle :
Elle raconte un de ses enlèvements:
« Je reconnus le lieu, et vis bien que j'étois au Ménil-Jourdain: Boullé (le vicaire) et sa grande amie y parurent, et nous estions auprès du cadavre de Picard, où je vis une beste effroyable grande comme un cheval; et je croy que c'est la mesme qui parut après en l'air vers la Court de la Maison de Louviers, et qui fit de si horribles cris... »
D'autres fois, aux hallucinations de la vue s'ajoutent, chez Madeleine, des hallucinations de l'ouie :
« J'entendis de mon lict une voix, comme de quelqu'une des Religieuses qui m'appeloit. Il pouvoit estre près d'onze heures. et j'avois dormi. Je me levay, m'en vay vers la porte de ma Cellule, et incontinent je me sens enlevée sans savoir par qui, ny comment, perdant toute connoissance pour lors, jusques à ce que je me vis en certain lieu, qui m'est inconnu, où il y avoit plusieurs Prestres et quelques Religieuses ; et me trouvay auprès de Picard (le curé). Il me parle aussi-tost et me dit: Hé bien, mon coeur, t'avois-je pas dit avec vérité, que nous nous verrions aujourd'huy ? »
Madeleine assure qu'on la venait toujours appeler pour aller au Sabbat, de même que Geneviève prétend que M. X... l'appelle pour aller le trouver soit dans une autre partie de l'hôpital, soit même à l'extérieur.
Autre caractère; le délire de Madeleine, ainsi que celui de nos hystériques, repose sur des scènes de la vie réelle : elle voit au Sabbat des religieuses de sa communauté, pratiquant avec le Démon « les mesmes nuditez et ordures spécifiées de la Maison »
Les hallucinations génésiques que nous avons signalées et décrites avec discrétion chez Geneviève, se sont reproduites bien des fois, et sous diverses formes, chez un grand nombre de « Possédées. » :
« Le démon qui fut expulsé par St-Bernard avait imposé pendant six ans ses impures caresses à la même personne; une fille âgée de 18 ans, qui fut brûlée à Cerdène, se prostituait à un esprit; la sorcière qui fut brûlée en 1556, dans le voisinage de Laon, partageait son lit avec Satan »
D'après Delancre, les démonolatres « ont trouvé le moyen de ravir les femmes d'entre les bras de leurs époux, et faisant force et violence à ce saint et sacré lien du mariage, ils ont adultéré et joui d'elles en présence de leurs maris, lesquels comme statues et spectateurs immobiles et déshonorés voyaient ravir leur honneur sans y pouvoir mettre ordre : la femme, muette, ensevelie dans un silence forcé, invoquant en vain le secours du mari, et l'appelant inutilement à son aide ; et le mari charmé et sans aide lui-même, contraint de souffrir sa honte à yeux ouverts et à bras croisés. »
Jeanne Herviliers, dont la mère, poursuivie comme démonolatre, avait été brûlée vive à Senlis vers 1548, « déclara qu'elle avait été vouée à Beelzébuth au moment même de sa naissance ; qu'à l’age da 12 ans, elle avait commencé à se prostituer à un diable qui se présentait à elle botté, éperonné, l'épée au coté, et qui était toujours prêt à lui prodiguer ses faveurs aussitôt qu'elle ressentait quelque désir. Personne n'apercevait jamais ce singulier amant qui s'introduisait depuis plus de 30 ans dans le lit conjugal sans que le mari de Jeanne se doutât de ses assiduités. Un jour, cet incube proposa à l'accusée de la rendre mère d'un petit démon; mais elle ne crut pas devoir se prêter à un pareil désir »
Les hallucinations génésiques, l'accouplement avec le diable, ont torturé également l'infortunée Madeleine Bavent. Nous les décrirons avec détails par ce qu'elles se rapprochent beaucoup des hallucinations de Geneviève :
« Mais, dit-elle, entre les choses principales qui me sont arrivées, il y en a une qui me donna beaucoup de peine, de douleur et de confusion et qui m'en donne encore et m'en donnera tant que je vivray. Je pense avoir dit que les Démons m'affligeoient avec cruauté, me battoient en ma cellule, et en d'autres endroits; me jettoient en terre, et me laissoient assez peu en repos: Mais j'étois bien plus importunée du Démon, qui me suivoit presque partout sous la forme d'un chat. Car ce chat infernal à peine me permettoit-il de manger et il m'ostoit tout de devant moi; me le tiroit mesme hors de la bouche, et vouloit tout avoir... Mais voici bien quelque chose de pire. Il m'est arrivé par deux fois d'avoir rencontré entrant dans ma cellule, ce maudit chat sur mon lict en une posture la plus lascive qui se puisse dire, et portant tout le semblable des hommes. Il m'effraya, et je pensay à m'échaper; mais en un moment il saute vers moy, m'abat violemment sur le lict, et jouit de moy par force, me faisant sentir des tourmens étranges»
C'est au Sabbat que Madeleine avait le plus fréquemment des rapports sexuels : ils s'opéraient d'ordinaire avec le curé Picard qui, en réalité, l'avait pour maîtresse.
« Je dis donc que la malice des Prestres principalement qui se trouvent à ces assemblées nocturnes, va jusques à ce poinct, d'y apporter souvent de grandes Hosties consacrées à l'Eglise, lesquelles ils posent sur une forme d'Autel, qui y est, puis disent leur messe, les reprennent après, lèvent le rond du milieu de la grandeur d'un quart d'écu; les appliquent sur un velin ou parchemin percé et accommodé de la mesme sorte, les y font tenir avec une sorte de graisse qui ressemble à de la poix; les passent ensuite à leur partie honteuse jusques près le ventre, et s'adonnent en cet état à la compagnie des femmes. Certainement telles actions méritent d'estre oubliées plustost que remémorées. Mais comme je fais icy ma confession générale, je n'y, dois pas taire un de mes plus énormes crimes, puisque ce malheureux Picard m'a connue de la sorte en ces lieux d'iniquité »
Et ce n'était pas seulement avec le démon sous forme de chat et avec le curé Picard que Madeleine avait des rapports sexuels, ceux-là imaginaires, mais encore avec un autre prêtre :
« Boullé, Vicaire de Picard, a eu une fois ma compagnie en ce lieu là (le sabbat), par l'ordre et le commandement de Picard, qui dit qu'il falloit que cela fust, et qui me tenoit les mains pendant que se commettoit cette ordure. »
Le délire de Geneviève, au fond, ressemble tout à fait à celui de Madeleine Bavent. La seule différence est celle-ci: Madeleine, le plus souvent, était « enlevée » au Sabbat, c'est-à-dire que les rapports avaient lieu, dans son imagination, en dehors de sa cellule; tandis que le démon de Geneviève, M. X.... vient, d'habitude, la trouver dans son lit même. Toutefois, G.... elle aussi, a été « enlevée ». Voici comment elle s'exprime elle-même, dans une lettre adressée à Mme X... :
Salpetrière, 28 décembre 1878.
Madame,
Ah ! madame, puissiez-vous jamais me pardonner, car je suis bien coupable envers vous ; car je vois que vous savez tout; je vais être franche à votre égard, je vais tout ,vous avouer. Rappelez-vous du soir le 15 août, cette femme voilée que vous avez vue sortir de votre chambre, à qui vous avez livré passage, Eh! bien, c'était moi. Et je vois que vous m'avez reconnue et vous m'avez laissé passer, tandis que vous auriez pu me faire arrêter comme une vile créature que je suis et vous avez gardé le silence, tout étant ma rivale. Je ne puis m'empêcher de vous trouver le cœur noble et généreux d'avoir encore le courage de me parler quand vous venez à la division. Mais ne lui faites jamais sentir ; que son union soit bénie et que moi je reste malheureuse toute ma vie puisque c’est là ma destinée. Et si encore après avoir empoisonné mon existence, il me laissait vivre en paix, je ne me trouverais pas si malheureuse ; car ce que vous avez vu se passer dans votre chambre à coucher, ce n'est pas tout, presque toutes les nuits il vient me trouver, me solliciter jusqu'à tant que je cède. Quand je ne veux pas, il me mord comme un enragé qu'il est et il me traîne dans 1a cour. Vous avez pu vous en rendre compte, car vous avez vu ses cruelles morsures toutes fraîchement faites et ce ne sont pas les premières, car je n'en manque pas sur le corps. Il a été jusq’a me brûler avec des allumettes dont je pourrais vous montrer toutes les cicatrices si vous ne me croyez pas «
Geneviève - et cela n'est pas rare chez les hystériques, se déshabille entièrement, soutenant ensuite que c'est M. X... qui lui a enlevé sa chemise. Même phénomène chez Madeleine Bavent:
« Je sortois de ma Cellule, dit-elle, et rencontray la Mère Sainte-Geneviève, qui me dit: Entrez un peu en cette chambre, pour rester avec ma sœur Barré jusqu'à ce que je revienne. Elle étoit pour lors sur un lict, et commence de me dire en riant assez fort, Tu n'es pas toute seule. Et qui est avec moy ? lui dis-je, elle me répondit, le Diable est auprès de toy. Je luy demanday, en faisant le signe de la Croix, En quelle forme? Elle me répondit, De jeune homme tout nud. Je lui dis, C'est un vilain, je le renonce. Tais toy, tais toy, me dit-elle, il sera bientost vétu. La Mère de Sainte-Geneviève étant de retour, je sors, et dès que je fus sortie la porte de la chambre, on me dépouilla toute nue, sans que je visse personne, et m'enfuis promptement en ma cellule, où j’appelay du monde »
Nous avons dit que Geneviève avait des gestes, des attitudes lubriques, qu'elle s'offrait. C'est ce que faisait Madeleine Bavent dans la prison de l'évêché á 'Evreux:
« Après en dépit de luy. (Jésus-Christ), j’invoquois les Démons, je me promettois à eux de bon cœur, et m’y donnois intérieurement: je les conviay à prendre mon âme et mon corps, et à emporter tout: je les sollicitois par mes postures sales à jouir de moy, si cela servoit de quelque chose pour les attirer »
La maladie se traduisait donc chez Madeleine Bavent par des symptômes identiques à ceux que nous avons enregistrés chez les hystériques de la Salpetrière. Entre Geneviève surtout et Madeleine Bavent, il n'y a pas de différence sérieuse. Ni l'une ni l'autre, d'ailleurs, n'avaient leur virginité. Madeleine a dit que, à 14 ans, « un surnommé Bontemps, Religieux Cordelier » l'avait tellement attirée qu’il avait eu sa compagnie charnelle diverses fois ».
Peu après, au couvent de Louviers elle devint tribade : le directeur, le curé David, accoutumait les religieuses à « se toucher les unes, les autres impudiquement » et à communier dépouillées toutes nues jusqu'à la ceinture. David mort," s'on' successeur le curé Picard, lui témoigna, dès sa première confession un amour passionné « et il commença de me vouloir caresser et mesme toucher impudiquement... » Et d'ordinaire, dans les autres confessions « il me tenait sans cesse les mains sur les parties honteuses... » Enfin, Madeleine eut des rapports réels avec le cure Picard.
Un dernier point doit être mentionné. Geneviève a prétendu un jour avoir fait une fausse couche. Dans son interrogatoire, Madeleine Bavent confesse « qu'elle a eu habitation au Sabbat avec diverses sortes de personnes, dont elle est devenue enceinte et en suite s'est provoquée à des décharges qui ont esté réelles et effectives, parce qu'il y avoit des enfans formés, ainsi qu'elle a avoué »
Le délire hystérique n'a pas toujours pour fondement l'amour charnel. Chez certaines malades, le délire est, à la variété précédente, ce que l'amour platonique est à l'amour physiologique. Chez A.., il avait, à l'origine, un cachet naïf, en quelque sorte virginal, sans aucune apparence de lubricité.
Cette pauvre hystérique était accusée par ses compagnes de toutes sortes d'actes criminels. Son imagination sans cesse en travail, lui en faisait découvrir de plus coupables. C'est ainsi que sous l'influence de ses visions, elle déclara « qu'étant professe, et employée aux malades de l'hôpital, Picard la renversant contre les balustres de la chapelle qui y est, et lui tenant les bras étendus, se mit en état, tout debout, d'avoir sa compagnie après avoir passé une hostie à ses parties honteuses et puis pendant une telle action certain chat était accouplé par derrière avec lui »
Dans toutes nos observations, dans celles que nous avons emprunté à l'histoire des hystériques des siècles passés, on constate que le milieu social, l'éducation, la vie antérieure, exercent sur le délire, sur les hallucinations une action profonde.
Marguerite-Marie Alacoque nous en fournit un nouvel exemple. Raconter sa vie par le menu exigerait des développements que ne comporte pas l'Iconographie : c'est là une tache que nous entreprendrons peut-être un jour. Pour le moment, -nous nous bornerons à quelques citations destinées à mettre en relief les traits principaux de sa maladie.
(Nous-nous servirons exclusivement de l'Histoire de la bien heureuse Marguerite-Marie Alacoque, de M. l'abbé Em. Bougaud, 1876)
Quand elle eut 17 ans, sa mère, voulant la marier, la conduisit dans le monde. Par obéissance, elle cédait.
« Mais au milieu des compagnies et des divertissements, ce divin amour me lançoit des flèches si ardentes, qu'elles perçoient mon cœur de toutes parts et le consumoient. La douleur que j'en sentois me rendoit toute interdite; et cela ne me suffisant pas encore pour détacher un cœur aussi ingrat que le mien, je me sentois comme liée avec des cordes et tirée si fortement, qu'enfin j'étois contrainte de suivre Celui qui m'appeloit. Il me conduisait en quelque lieu retiré, ou il me faisoit de sévères réprimandes. Hélas ! il paroissoit jaloux de ce misérable cœur! »
De là, des luttes entre le mariage terrestre et le mariage Céleste. Notre Seigneur lui vint en aide : « Un jour, dit-elle, après la sainte communion, il me fit voir qu'il étoit le plus beau, le plus riche, le plus puissant, le plus parfait et accompli des amants, et que lui étant promise, d'où venait donc que je voulois tout rompre avec lui? »
A 24 ans, elle entra en qualité de novice au couvent de la Visitation de Paray Le Monial. Au jour de son noviciat, Jésus lui dit : « C'est aujourd'hui le jour de nos fiançailles » Bientôt, on remarqua qu'elle était « la plupart du temps absorbée comme s'il n'y eut plus eu que son corps sur la terre » Les visions devinrent peu à peu plus fréquentes. Jésus « l'honorait de ses entretiens quelquefois comme un ami ou comme un époux passionné d'amour ou comme un père blessé d'amour pour son enfant unique et en d'autres qualités. » Elle avait sans cesse devant les yeux l'objet invisible de son amour. Elle le contemplait, elle l'écoutait, elle vivait sous le charme d'une vision perpétuelle qui la faisait jouir de son céleste époux. Elle chantait en travaillant.
Ce qui étonnait les sœurs, c'était cette sorte d'absorption dont il fallait constamment tirer Marie Alacoque. Elle passait de longues heures à genoux dans la chapelle ou dans sa cellule, le visage lumineux, les yeux pleins de larmes... Tout lui tombait des mains... Son visage était tour à tour étincelant comme un astre ou accablé et comme anéanti.
Pas plus, d'ailleurs, que les amours de Geneviève et de M. X.., les amours de Marguerite-Marie et de Jésus n'étaient exempts d'orages. Jésus lui adressait des reproches « et cela d'un ton tel, qu'il n'y a pas de douleurs et de supplices qu'elle n'eut préférés. » Jésus était jaloux. « Comme elle s'était tendrement attachée à une de ses compagnes du noviciat, avertie intérieurement que cette douce liaison contristait l'amour jaloux de son divin maître, elle résolut d'en tirer son cœur »
A 25 ans, « elle entra dans sa grande retraite pour se préparer à ses saints vœux. Dès le second jour, l'absorption devint telle, qu'on dut modérer un peu le grand brasier d'amour qui la dévorait. » Le 6 novembre 1572, Marguerite-Marie prononça ses vœux. N.S. lui apparut et lui dit : « Jusqu'ici, je n'étois que ton fiancé, à partir de ce jour, je veux être ton époux. » Il lui promit de ne plus jamais la quitter, de la traiter comme son épouse et il commença à le faire « d'une manière, dit-elle, que je me sens impuissante à exprimer, et dont je dirai seulement qu'il me parloit et me traitait comme une épouse du Thabor. » Durant quelque temps, les amours de Jésus et de Marguerite-Marie continuèrent sans nuages. N.-S. la « combloit des caresses et des consolations do son amour » Mais cela ne suffit pas à Marie Alacoque ; elle veut souffrir. Son époux calme ses ardeurs; puis, il se décide à la satisfaire : les hallucinations gaies sont remplacées par des hallucinations tristes. Alors, J.-C. lui montre une croix toute couverte de fleurs : « Voilà, lui dit-il, le lit de mes chastes épouses, où je te ferai, consommer les délices de mon amour. »
A 25 ans, Marguerite-Marie était dans l'état suivant :
Plus on avançait, plus cet amour de Dieu la consolait. Sa frêle et délicate constitution ne résistait pas à de telles émotions. Maigre, pâle, avec une chair transparente à travers laquelle on apercevait comme la flamme de l'esprit, elle réalisait de plus en plus le chant de son noviciat :
Je suis une biche harassée,
Qui cherche l'onde avec ardeur ;
La main du chasseur m'a blessée,
Son dard a percé jusqu'au cœur.
Aux absorptions se substituent de véritables extases : elle restait à genoux douze heures de suite, les mains jointes sur la poitrine, les yeux fermés, immobile, sans tousser ni faire le moindre mouvement, « comme marbre » et « la figure extasiée. » Elle aimait et s'oubliait en aimant. Elle n'entendait rien de ce qui se passait autour d'elle. Quelquefois, dans ses extases, elle restait au chœur jusqu'à onze heures prosternée sur le pavé, les bras on croix, le visage contre terre.
M.,X.... l'amant invisible de Geneviève, Dagon, le diable de Madeleine Bavent, exercent sur leurs maîtresses « des battures » les mordent, etc. L'amant de Marguerite-Marie produit chez elle des plaies invisibles : « Toute sa vie, elle eut une plaie invisible au coté, écrit M. Bougaud. « Cette plaie, dit-elle, dont la douleur m'est très-précieuse, me cause de si vives ardeurs, qu'elle me consume et me fait brûler toute vive. »
Un jour « la sainte Hostie lui était apparue resplendissante comme un soleil, et au milieu de cette gloire elle avait vu Notre-Seigneur qui, tenant une couronne d'épines à la main, la lui posa sur la tête en disant : Ma fille, reçois cette couronne en signe de celle qui te sera donnée bientôt en conformité avec moi. Et, en effet, à partir de ce jour, elle eut autour du front comme un cercle de feu. Elle ne pouvait pas appuyer sa tête, même sur un oreiller »
Les amours de Marguerite-Marie ont des caractères particuliers. « N.-S. lui apparut attaché à la croix et rayonnant d'amour. Comme elle le contemplait ravie, il détacha un de ses bras, attira la sainte contre sa poitrine adorable, et, toute défaillante de bonheur céleste, il lui fit mettre ses lèvres sur la plaie de son cœur »
Un autre jour « Il me demanda mon cœur, lequel je le suppliai de prendre; ce qu'il fit, et le mit dans le sien adorable, dans lequel il me le fit voir comme un petit atome qui se consumait dans cette ardente fournaise. Puis, l'en retirant comme une flamme ardente en forme de cœur, il le remit dans le lieu où il l'avait pris, en me disant: Voilà, ma bien-aimée, un précieux gage de mon amour. Je renferme dans ton coté une petite étincelle des plus vives flammes de mon amour, pour te servir de cœur et te consumer jusqu'au dernier moment. »
L'état de Marie Alacoque inquiétait ses compagnes qui s'en entretinrent avec des prêtres. « Le résultat de toutes ces conférences fut qu'il y avait en tout cela beaucoup d'imagination, un peu de tempérament, et, qui sait même ? quelque illusion du mauvais esprit» Fort heureusement arriva le R. P. jésuite de la Colombière. Marguerite-Marie fut prévenue de son arrivée par une voix qui lui disait: « Prends patience et attends mon serviteur » Le P. de la Colombière arriva. A peine eut-il ouvert les lèvres qu'elle entendit distinctement ces paroles : « Voilà celui que je t'envoie. »
Marie Alacoque se confesse au P. jésuite : « Et comme je lui eus fait entendre que ce Souverain de mon ame me poursuivoit de si près, sans exception de temps et de lieu que je ne pouvois prier vocalement. Et lui ayant dit quelque chose des plus spéciales caresses et unions d'amour que je recevois de ce Bien-Aimé de mon âme et que je ne décris pas ici, il me dit que j'avais grand sujet de m'humilier, et lui d'admirer les grandes miséricordes de Dieu à mon égard »
Si l’on en croit les théologiens, la mémoire de Madeleine Bavent, l'épouse du Diable, doit être honnie et conspuée, tandis que celle de Marie Alacoque, l'épouse de Jésus, doit être honorée et vénérée. Cette opinion n'est pas la notre. Pour nous, ce sont deux malades qui ont subi la triste influence des superstitions de leur temps.
Tous les phénomènes mentionnés, chez Mario Alacoque : hallucinations de la vue et de l’ouie, tantôt gaies tantôt tristes, absorptions, extases, plaies imaginaires, délire érotique, se retrouvent à des degrés divers chez les hystériques de la Salpetrière.
Sans l'intervention du P. de la Colombière, qui sait si Marie Alacoque n'eut pas subi le même sort que Madeleine de Cordoue ?
Celle-ci, en effet, après avoir été considérée comme une sainte, honorée par les peuples, les rois, les inquisiteurs, etc., après avoir fait des miracles, fut emprisonnée, jugée et « condamnée à sortir de la prison en habit de religieuse et sans voile; la corde an cou, un bâillon dans la bouche, un cierge allumé dans les mains; à se rendre dans cet état à la cathédrale de Cordoue, à paraître sur un échafaud dressé pour la cérémonie de son auto-da-fé » Elle aussi recevait la visite du Christ qui l'avait prise pour fiancée. Mais ce n'était pas le vrai Christ; c'était un chérubin déchu, nommé Balban, auquel elle avait servi d'épouse pendant un grand nombre d'années. Nous terminerons là ces considérations sur les faits anciens et nous espérons que nos lecteurs nous sauront gré d'avoir profité des observations des malades du service de M. Charcot, pour leur montrer une fois de plus l'intérêt puissant qui s'attache à l'étude de l'hystérie dans l'histoire.