Possedées et exorcismes |
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Soit avant, soit après leurs attaques, les hystériques se livrent à des actes extravagants : elles sautent par les fenêtres, grimpent dans les arbres, montent ,sur les toits, exécutant tout cela avec une agilité vraiment surprenante et semblant inconscientes des dangers auxquels elles s'exposent.
C'était là un sujet de grand étonnement pour les Exorcistes et, en particulier, pour le R. P. Esprit du Bosroger
« Dagon (Démon de second ordre, boulanger et grand panetier de la cour infernale. Les Philistins l'adoraient sous la forme d'un monstre réunissant le buste de l’homme à la queue du poisson : Dictionnaire infernal) fit grimper la sœur du Saint-Esprit par le moyen de quelques vieux bois sur une muraille de dix pieds de hauteur, et l'ayant menée sur ladite muraille, en un lieu où il n'y avoit plus moyen de descendre, n'y ayant ny échelles, ny autres choses pour cela.
« Après que long-temps plusieurs filles eurent prié la possédée de s'avancer sur le mur, vers un lieu où elle pourroit revenir à elles sans péril, et qu'un exorciste qui y étoit accouru lui en eut fait commandement, et pour mieux forcer le Démon, eut aussi commencé à genoux de dire le Chapelet, Dagon s'écria en grande furie : Diantre, si tu ne cesses le Chapelet, je jetterai cette Chienne à bas, et aussitost luy laissant voir le péril où elle était, et luy donnant un grand effroy, il la fit tomber du haut de cette muraille de dix pieds bien mesurés sur des pierres et des tuiles qui étoient là; et cependant, elle fut tellement préservée, qu'elle n'eut aucune lésion ny blessure en tout son corps : mais seulement, pour quelque temps, un peu d'effroy et d'étourdissement à cause de sa chute »
Pour calmer les hystériques en attaques, les prêtres employaient autrefois, et préconisent encore aujourd'hui, les exorcismes ; les jansénistes, au milieu du siècle dernier, vantaient les secours, auxquels se rattachent,. dans une certaine mesure la compression ovarienne. Nous avons. nous, médecins, des agents bien plus actifs; sans compter la compression de la région ovarienne devenue plus précise, nous disposons, comme on a pu le voir, du chloroforme, de l'éther, du nitrite d'amyle, des valérates d'amyle et d'éthyle, du bromure d'éthyle, de la bouteille de Leyde, du compresseur, du courant électrique, etc.
Quelques-uns des caractères des attaques de L.. méritent d'être comparés aux phénomènes offerts par les possédées et regardés par les exorcistes comme dus à la présence des diables dans le corps de ces malheureuses malades.
a) L'un des phénomènes invoqués par les thaumaturges catholiques, à l'appui de la possession des Ursulines de Loudun, n'était autre que la rigidité tétanique du corps, que l'on observe à la première période des attaques. On disait que les religieuses de Loudun, « lorsqu'elles étoient étendues sur le carreau se roidissoient si fort contre la terre, que quand on les prenait par le milieu du corps pour les enlever, on les trouvoit aussi pesantes que si elles eussent été de plomb. »
La duchesse d'Eguillon qui se trouvait en nombreuse compagnie à Richelieu, eut la curiosité de se rendre à Loudun pour voir les possédées. Sa curiosité était d'autant plus piquée que des discussions s'étaient élevées parmi les personnes qui l'accompagnaient, au sujet de la réalité de la possession. L’une d'elles était Cérizantes, gouverneur du marquis de Faure et fils de Duncan, médecin de Saumur, qui promit de faire voir «que la difficulté qu'il y avoit à enlever ces corps, quand ils étoient ainsi couchez, venoit sans doute de leur situation, plutôt que d'aucune vertu surnaturelle qui les attachát à la terre, ce qu'il espéroit de prouver dans l'occasion ».
Peu après « Cérizantes fit étendre sur le carreau un tapis, et se coucha dessus, en la même posture que les Possédées de Loudun se mettoient : il se trouva aussi pesant quelles, et l'on n'avoit pas moins de peine à l'enlever, quand on le prenoit par le milieu du corps; mais lors qu'il eut dit qu'il falloit le prendre par dessous la tête, il n'y eut personne qui ne l'enlevát aisément. Mademoiselle de Rambouillet désira passionnément de faire la même épreuve sur les Possédées, et ce fut en partie pour la satisfaire, que toute la troupe de Richelieu se rendit à Loudun.
Lors que la Supérieure et les antres Energumènes, voioient des personnes de qualité, elles avançoient ordinairement et les nommoient par leur nom, afin de leur persuader que cette connoissance de leurs noms procédoit des Diables. Cérizantes qui étoit bien instruit de tout ce qui se passoit dit á la dame de Combalet (duchesse d'Eguillon), qu'il y avoit à Loudun des Partisans de la Possession qui prenoient soin d'avertir et les Exorcistes et les Possédez de tous les étrangers qui y arrivoient, pour peu qu'ils parussent considérables, et qu'on leur en faisoit le portrait, ou qu'on leur disoit d'autres circonstances., par lesquelles elles pouvoient les reconnoitre : qu'il croioit bien que dans l'occasion présente on se seroit contenté de dire à ces bonnes Filles, que le Marquis de Brézé prenoit le pas devant le Marquis de Faure, sans se mettre en peine de les désigner davantage, étant tous deux à peu près de même age : qu'il seroit à propos de commencer par là à voir ce qu'il falloit penser de cette grande affaire, dont on imputoit l'intrigue à tant de gens, et que pour cet effet on pouvoit faire entrer le Marquis de Faure avant le Marquis de Brézé. Cette proposition aiant été exécutée le Diable ne manqua pas de prendre l'un pour l'autre ; cependant les Possédées reprirent courage, et firent leurs contorsions ordinaires, parmi lesquelles cette situation de leur corps, dont on avoit tant parlé à Richelieu, ne fut pas oubliée. L’Exorciste voiant que la Demoiselle de Rambouillet paroissoit plus. curieuse que les autres, la pria de satisfaire sa curiosité, et d'essayer de faire perdre terre à la religieuse qu'il éxorcisoit. La Demoiselle fit d'abord semblant de ne douter nullement de la possession ; mais enfin, se voiant pressée par l'Exorciste, qui vouloit la confirmer dans cette croiance, elle donna ses gans à sa Suivante, et prenant la Religieuse, qui sembloit être aussi pesante que du plomb, non par l'endroit où l'on avoit accoutumé de la prendre, et que l'Exorciste lui indiquoit, mais par celui que Cérizantes lui avoit montré, elle l'enleva sans peine, au grand étonnement des assistants et au grand déplaisir des Exorcistes »
(Cruels effets de la vengeance du cardinal de Richelieu ou Histoire des diables de Loudun, etc., 1716, p. 308-312).
Les fabricants de Miracles de nos jours ne sont pas plus forts que les exorcistes du XVII siècle!
b) Tous les médecins connaissent la violence des mouvements qu'exécutent les hystériques durant la période clonique et savent combien il est difficile de les maintenir si, dès le début, on n'a eu soin de leur mettre la camisole, de fixer leurs pieds, leurs bras et leur tronc. Cette exagération des mouvements, l'énergie que les malades y apportent, avaient frappé vivement les Exorcistes qui présidaient à l'expulsion des diables de Louviers. Voici comment s'exprime, sur ce point, le R. P. Esprit du Bosroger :
«N'avons-nous pas vu encore cent terribles violences, et autant d'efforts impossibles à des filles en tous genres, et si grands: qu'il a toujours été besoin de beaucoup de personnes pour arrêter une possédée dans ses agitations et dedans et dehors les exorcismes? Voici des forces ou de géant ou de Démon : Dagon, le diable qui possède la sœur Marie du Saint-Esprit, transporté de furie en un exorcisme que le Père Esprit luy faisoit, fit empoigner à cette fille la grosse corde, dont elle étoit ceinte, qui n'est pas moindre que celle des Capucins, et bien que cette corde fust fort bonne, entière, et non usée, elle la prit de ses deux mains, et sans s'efforcer, elle la rompit en deux aussi facilement qu'on romproit une paille
(La Piété affligée, etc., 1700, p. 240. D'après l'Evangile, les démoniaques rompoient les cordes et les chaines dont ils étoient liés et le Rituel les met entre les marques de possession, Vires supra aetatis et conditionis naturam ostendere. (Cruels effets de la vengeance du Cardinal de Richelieu, etc., p. 114.).
Nous avons vu trop souvent L..., V..., Rosalie, Geneviève, etc. , déchirer leurs camisoles de force, rompre leurs liens, pour partager l'étonnement du R. P. et surtout pour adopter son interprétation.
e) Chez L.. et chez bien d'autres malades, à l'une des phases de la période clonique, souvent à la fin, le corps se met en arc : Pour les exorcistes c'était encore là une marque de la possession diabolique.
« Les plus subtils de ce temps se trouveront, je m'assure, bien embarrassés en leur discernement : à la seconde preuve que nous allons produire; parce qu'ils auront peine de concevoir tant de postures et de souplesses en de simples filles, et que malgré eux ils apercevront quelques marques infaillibles de la possession : et que pourront-ils dire, je vous prie, parlant avec sens, lors que milles personnes leur auront fait savoir qu'ordinairement les Démons après leurs contorsions, et agitations mettent ces filles ainsi tourmentées en un arc parfait? Ce qu'ils pratiquent en leur approchant la tête en arrière jusque contre les talons et les faisant porter sur la face et sur la bouche, les bras roidement étendus, tellement que les reins s'arrondissent comme le dessous d'une arcade.
« Ce qui arrive presqu'à toutes, et très-souvent, et ce que nous avons vu plus particulièrement et plus parfaitement en la sœur de Saint Laurens traitée et pliée de la sorte par son Démon Behemond, laquelle parfois est demeurée en arc accompli, ainsi que dessus, étant sur la face, et sur la bouche plus de trois quarts pendant une heure en deux ou trois reprises; et non moins en la sœur du Sauveur que possède Asmodée, -(FIGURE 9) (1), qui parmi cent étranges mouvements corporels, s'est trouvée bien souvent toute pliée en arc parfait, la tête contre les pieds jusque sur la bouche, et le ventre élevé en arcade, et y demeurer plusieurs fois des quarts, et des demie heures, voire et se jeter en cet état de toute sa hauteur, et tout d'un coup en cette forme d'arcade » et sur la bouche ». (La Piété affligée… 1700, p. 240)
(1)''Démon destructeur; il est surintendant des maisons de jeu; il sème la dissipation et l'erreur. D'après quelques auteurs, c'est l’ancien serpent qui possédait Eve. C'est lui que Tobie a expulsé du corps de la jeune Sara. C'est, aux enfers, un roi fort et puissant, qui a trois têtes (FIGURE 9) : la première ressemble à celle d'un taureau, la seconde à celle d'un homme, la troisième à celle d'un bélier Il a une queue de serpent, des pieds d'oie, une haleine enflammée. Il se montre à cheval sur un dragon. Lorsqu'on l'exorcise, il faut être ferme sur ses pieds et l'appeler par son nom. Il donne des anneaux constellés ; il apprend aux hommes à se rendre invisibles et leur enseigne la géométrie, l'arithmétique, l'astronomie et les arts mécaniques. Il connaît aussi des trésors, qu'on peut le forcer à découvrir; soixante douze légions lui obéissent. (Dictionnaire infernal).
d) L'allongement exagéré de la langue hors de la bouche, sa congestion extrême l'extension du corps et des membres, l'attitude du crucifiement, phénomènes que nous avons notés chez L.... se rencontraient chez les Ursulines de Loudun :
« La Mère Prieure étant venue sur les rangs, le Démon Balaam parut d'abord, mais qu'aussitôt il fit place à Isaacarum par le commandement du Père Surin, son Exorciste; que ce dernier adora le Sacrement comme les autres, en donnant des marques d'un horrible désespoir : la rage, dit-il, que j’ai de l’avoir perdu librement, m’ôte la liberté de l'adorer; mais que le Père répétât le commandement qu'il lui avoit fait, il mit le corps de là Prieure dans une effroyable convulsion tirant une langue horriblement difforme , noirâtre et boutonnée ou grenée comme du maroquin, sans être pressée des dents, et sèche comme s'il n'y avoit jamais eu d’humeur et la respiration n'étant nullement forcée; qu'on remarqua entre autres postures, une telle extension de jambes, qu'il y avoit sept pies de longueur d'un pie à l'autre, la Fille n'en ayant que quatre de hauteur, qu'après cela le Démon alla la jeter le ventre à terre au pied du Père, qui tenoit le Saint-Sacrement en main, et qu'ayant le corps et les bras en forme de croix, il tourna premièrement la paume des deux mains en haut, puis acheva le tour entier, en sorte que la paume de chaque main touchoit le carreau, et qu'il rapporta les mains ainsi tournés, en les joignant sur le bout de l'épine du dos, et qu'aussitôt il y porta les deux pieds joints aussi, en sorte que les deux paumes des mains touchoient les deux cotés du dehors de la plante des pieds, qu'elle demeura en cette posture assés long-temps, avec des tremblements étranges, ne touchant la terre que du ventre; que s'étant relevée, il fut commandé encore une fois au Démon de s'approcher du Saint-Sacrement, et de montrer par son -visage l'opposition qu'il y a entre Jésus-Christ et lui: que sur cela, témoignant une rage qu'on ne peut concevoir si on ne l'a vue, Ah ! dit-il en criant, il est impossible de la montrer, il y a trop grande distance de l’un à l'autre: qu'étant enquis quelle étoit cette distance? Il est, dit-il, l'abrégé de toute bonté, et moi de tout malheur: qu'ayant proféré ces paroles, il devint encore plus forcené et témoigna une grande rage de ce qu'il avoit dit, se mordant au bras, et contournant horriblement tous les membres ; que l'agitation cessa peu après, et que la Fille revint entièrement à elle, n'ayant le poux pas plus ému, que s'il ne se fut rien passé d'extraordinaire».
(Cruels effets de la vengeance du Cardinal de Richelieu, p.233-234)
La comparaison entre les faits anciens et les faits contemporains prouve que la grande hystérie n'a pas subi, jusqu'ici, de modifications bien profondes.
Les troubles de la motilité ont été nombreux et variés dans ce cas : secousses, tremblement, chorée, paralysie, crampes, contractures.
a) Nous avons trop souvent parié des secousses pour qu'il soit utile de revenir sur leurs caractères. Naguère, elles constituaient un signe, sinon de possession au moins d'obsession. Dans son « Discours historique et théologique de la possession des Religieuses dites de Sainte Elizabeth de Louviers », Esprit du Bosroger, provincial des RR. PP. Capucins de la province Normandie, dit que l'on voyait les «sœurs affligées étant debout, plier avec violence le genouil, et estre prestes à tomber. tantost on les jettoit de grande force par terre » (La Piété affligée ou Discours historiques,… p.220, Amsterdam, 1700)
Ce sont là les effets des secousses tels que nous les avons observés chez beaucoup de malades et entre autres chez L... qui, ainsi que nous l'avons vu fut, un jour, jetée par terre .