Annecy 15 – 16 / 5 / 2003
6° Congres du GREPFA: Effets thérapeutiques en A.F.T.: processus insaissable?
Placement familial et soins en Italie
Gianfranco Aluffi
Bonjour à tous.
Avant de commencer, je voudrais remercier Jean-Claude Cébula et Cristian Roche de m’avoir convié à ces intéressantes congres. En outre, je vous prie de m’excuser par avance pour ma prononciation de la langue française.
La lois 180 du 1978, a sanctionné la clotûre des hôpitaux psychiatriques en Italie et la naissance renforcé des agences territoriales d’une psychiatrie du territoire.
Le Dèpartement de Santé Mentale Universitaire 5 B – Hôpital San Luigi Gonzaga/ ASL 5 de Collegno ( Région Piémont), a réalisé le franchissement et la fermeture définitive de l’Hôpital “ La Certosa de Collegno”, considéré l’un des plus grands hôpitaux psychiatriques d’Italie et probablement d’Europe.
Aujourd’hui, après des années d’expérimentation et attentive vérification, le DSM 5B peut compter sur un réseau complet de services et d’offres résidentielles alternatives aux residences hospitalieres, parmi lesquels on signale le Service IESA pour l’Accueil Familial Thérapeutique.
Après la loi du 14-02-1904 sur les asiles et les aliénés qui mentionnait la possibilité de “soin dans una maison privée”, c’est le décret n. 615 de 1909 qui réglementa ce qui, pour la psychiatrie italienne de l’époque, sur la vague d’enthousiasme suscitée par les expériences belges, françaises, écossaises et allemandes, représenta un pari intéressant: l’accueil familial thérapeutique d’adultes. L’exigence de fonder un tel service avait pour origine la situation extrême dans la quelle se trouvaient les asiles italiens, réduits à des récipients prêts à éclater en raison de la surpopulation. De plus, les coûts de gestion des établissements représentaient pour les provinces une charge excessive souvent insoutenable.
Serafino Biffi, pionnier du “patronage hétérofamilial”en Italie, le désignait en 1854 comme adapte pour les aliénés qui ne pouvaient pas jouir des “habitudes monotones” caractérisant les journées des reclus dans les asiles. Impressionné par une visite à Geel, Biffi y voyait un lieu où pouvait être mise efficacement en place la “vraie cure morale” qui consistait à “tolérer avec patience l’agitation du maniaque, et a éduquer avec amour le pauvre idiot, en entourant tous les malades de calme et d’affecteux ménagements, en leur montrant des exemples d’ordre et de diligence, en leur assurant une tutelle paternelle, sachant se taire à temps et à temps s’adressant à leur coeur, parfois en les distrayant ou alors en les laissant en paix éclater de chagrin”.
Il souligna qu’une visite à Geel “aurait modifié grandement l’opinion des gens qui croyaient qu’il n’y avait rien de mieux à offrir à un fou que l’asile” , et que, si les progrès scientifiques avaient élevé les aliénés à la dignité d’infirmes, la colonie belge lui semblait destinée, avec les réformes adéquates, à les rapprocher des conditions sociales ordinaires.
Le ferrarais Cappelletti soutenait un modèle proche du système écossais, appliqué à cette époque en Allemagne à Dalldorf et à Herzberg, sur les bases suivantes:
· ne pas confier les malades traversant une phase aiguë (“…l’avantage de la liberté en famille sera bien plus profitable si le malade a déjà senti le malaise de l’internement dans l’asile”);
· les colonies comme Geel sont trop éloignées du lieu de provenance. Il faut de petites colonies à proximitè des asiles, alimentées seulement par les malades déplacés par chaque institution”. Selon lui, les critiques au traitement en famille étaient émises par des médecins travaillant dans les asiles publics ou privés, au nom de leur intérêt et de leur éducation.
Giulio Cesare Ferrari, directeur de l’asile d’Imola et pionnier de la psychologie italienne, soutenait le patronage hétérofamilial car “l’aliené doit retourner à la famille pour renconquérir la dignité de l’Homme” puisque “bien que modérée, la limitation de la liberté n’en reste pas moins une limitation du Moi conscient, qui en a toujours à souffrir”. Fin 1800, son attitude peut être considérée comme révolutionnaire. In effet, il écrivit que “l’existence des asiles détermina fatalement l’idée de la dangerosité des alienés”, et que “on arriva très tôt à l’impossibilité de séparer l’idée de l’aliené de l’idée de l’asile”, provoquant l’abondance excessive d’asiles dont “l’existence réclame les malades qui, autrement, pourraient être tolérés libres”.
S’inspirant du modèle français (Dun-sur-Auron, Ainay-le-Château), il proposait les régions abandonnées pour l’installation des futures colonies. Des couples d’infirmiers expressément envoyés sur place étaient engagés pour l’assistance aux malades, et la colonie devait se détacher, sur le plan sanitaire et administratif, de l’asile qui l’avait engendrée.
Bien que le débat portat sur l’assistance familiale appelée “patronage hétérofamilial” et ses différents modèles, en Italie, la pratique la plus répandue était la “garde privée homofamiliale”. Presque à l’unisson, les spécialistes se rangèrent contre cette forme de résidence pour les malades pour les raisons suivantes:
· la famille n’a pas l’autorité sur le malade pour le contenir et lui donner une discipline;
· les familles biologiques ne sont pas sélectionnées;
· les familles concernées étant pauvres, le subside versé pour l’assistance constitue leur seule source de gain. Le “monneyage” de la pathologie peut indirectement provoquer la chronicisation du trouble en transformant les disgrâces en ressource économique. De son côté, la famille d’accueil peut toujours compter, à la fin d’un accueil, sur l’arrivée d’un nouvel hôte.
Le professeur Augusto Tamburini, directeur de l’asile de Reggio d’Emilie, père du patronage hétérofamilial italien, définit la garde privée homofamiliale comme un système utile seulement à de “déplorables spéculations”. Au contraire, il plaida la cause de l’accueil familial thérapeutique, proposa une loi destinée à sa réglementation, engagea et conduisit le service le plus structuré et le plus durable de Patronage Hétérofamilial d’Italie: celui de Reggio d’Emilie.
Selon les sources ministérielles, le tableau suivant (nombre d’aliénés assistés en famille) montre le degré du développement de l’accueil familial (homo/hétéro) en Italie, à l’époque.
Ville |
1898 homo+hétéro familial |
1902 homofamilial |
1902 hétérofamilial |
1902 total |
Florence |
450 |
800 |
150 |
950 |
Reggio d’Emilie |
57 |
48 |
150 |
68 |
Modène |
|
|
|
|
Lucques |
92 |
140 |
31 |
171 |
Arezzo |
50 |
65 |
- |
65 |
Pérouse |
102 |
107 |
12 |
119 |
Pise |
50 |
55 |
- |
55 |
Ancône |
28 |
35 |
21 |
56 |
Pesaro |
14 |
30 |
- |
30 |
Ascoli-Fermo |
4 |
4 |
1 |
5 |
Milan-Mombello |
5 |
2 |
- |
2 |
Bergamo |
38 |
36 |
- |
36 |
Cremone |
41 |
1 |
- |
1 |
Naples |
- |
50 |
- |
50 |
Forli |
1 |
15 |
- |
15 |
Gênes |
- |
2 |
- |
2 |
Turin |
- |
5 |
- |
5 |
Sienne |
80 |
47 |
33 |
80 |
|
|
|
|
|
Total partiel |
1012 |
1142 |
268 |
1710 |
|
|
|
|
|
Aversa-Caserta |
56 |
- |
- |
56? |
Autres provinces |
349 |
- |
- |
349? |
|
|
|
|
|
Total |
1417 |
- |
- |
2115? |
|
|
|
|
|
En 1898, il y avait en Italie 1417 patients en famille, c’est à dire 4% des alienés recensés. La plupart résidait donc chez leur propre famille dans le cadre de la garde privée homofaliliale. Les familles qui voulaient recevoir le subside pour la garde de leurs malades effectuaient une demande accompagnée de certificats médicaux à la direction de l’asile qui favorisait ou non l’assistance à domicile et la contribution économique de la Province. Dans la plupart des cas, l’asile ne s’occupait plus du malade, tandis que la Province continuait à supporter la charge financière. A Reggio d’Emilie, ce système comptait sur une surveillance par les institutions.
Même le système de garde privée hétérofamiliale qui, à Florence en 1902, comptait 150 accueils réussis, n’était pas réglé par des normes précises. Mis à part le fait qu’il s’agissait d’une famille différente de la famille d’origine, le fonctionnement était le même que dans la version homofamiliale. La littérature désigne le modèle de Reggio d’ Emilie comme le système de patronage hétérofamilial le plus fonctionnel et le plus efficace.
Actuellement, l’accueil familial pour des personnes suivies par les services psychiatriques existe dans des situations particulières, rares, de manière éparse sur le territoire, non quantifiées, souvent improvisées et non référées à un modèle spécifique.
Dans ces dernieres années, comme on peut le voir sur les tableaux, les services qui travaillent selon cette modalité se sont mulitipliés en passant de 11 du 1999 aux 25 du fin 2002. Les raisons de cette expansion nous parlent d’un travaille minutieux de divulgation et de formation mené par le service IESA en Italie et couronné par la realisation de deux congrès nationaux (Turin - Lucques), non seulement d’un livre mais de beaucoup de publications.
Asl 5 Dsm 5b Collegno Piemonte |
Asl 8 Chieri Piemonte |
Asl est Brunico Trentino Alto Adige |
Asl 2 Lucca Toscana |
Asl 5 Jesi Marche |
Asl 9 Trapani Sicilia |
Asl 1 Sassari Sardegna |
Asl 3 Nuoro Sardegna |
Asl 4 Nouro Sardegna |
Asl 6 Cagliari Sardegna |
Asl 8 Cagliari Sardegna |
Situation 2002
De 1999 à 2002 les services suivants vont s’ajouter aux précedents.
Dsm 5a Asl 5 Rivoli Piemonte |
Dsm Asl 7 Settimo Piemonte |
Dsm Asl 10 Pinerolo Piemonte |
Dsm Asl 19 Asti Piemonte – priv. Soc. |
Dsm Asl 10 Firenze Toscana |
Dsm Asl Pisa Toscana |
Asl Livorno Toscana |
Asl 20 Verona Veneto |
Asl 29 Monza Lombardia |
Asl 33 Rho Lombardia |
Asl 9 Treviso Veneto |
Asl Parma Emilia Romagna |
Asl Chieti Abruzzo |
Asl Ravenna Emilia Romagna |
Qu’est ce que c’est le IESA?
Par IESA, il faut entendre « insertion en accueil familial pour adultes souffrant de troubles psychiques », à savoir l’intégration d’une personne suivie par un service psychiatrique dans une famille volontaire, sélectionnée et formée sur un plan plus pratique que théorique. La cohabitation qui se crée ainsi pourra compter, pendant toute sa durée, sur le soutien des acteurs du IESA.
Le milieu d’accueil peut être composé d’un seul membre; l’essentiel étant que l’accueillant dispose d’un espace suffisant, occupe un rôle clair pour remplir ses fonctions envers l’accueilli, ceci avec le soutien de l’équipe.
L’objectif du IESA est de restituer à la société ces personnes qui, par une mésaventure clinico-existentielle, se sont trouvées en grande souffrance, souvent dans des conditions de solitude intense ou dans des contextes d’enfermement inadéquats et aliénants.
L’insertion en famille d’accueil peut être répartie en trois catégories : à court, à moyen et à long terme.
À court terme, l’intervention est focalisée sur la période de crise qui touche le patient ou son environnement habituel. La durée de placement varie de quelques jours à un ou deux mois selon qu’il s’agit de faire face à une aiguё symptomatologique ou à un simple besoin de décontextualisation. Parfois, des personnes sont hospitalisées en psychiatrie alors que leur état ne présente pas de caractéristiques propres à justifier une telle orientation. Le motif du recours à l’hospitalisation relève objectivement de la faiblesse ou même de la crise du système dans lequel vit le patient, lesquelles se répercutent ponctuellement sur le plus fragile, autrement dit le bouc-émissaire. Actuellement, très peu d’expériences d’accueil familial à court terme sont opérantes. Les plus significatives sont le « Crisis Home Programm » du comté de Dane aux Etats-Unis créé en 1987, et les « Crisis Farm » éparpillées sur le territoire piémontais et gérées par la coopérative sociale « Alice nello specchio » de Turin et il y a quelques mois j’ai connu la situation de Lille. Depuis quelques mois, en collaboration avec l’Université de Turin et la coopérative sociale « Progest », nous travaillons aussi à un projet d’accueil familial à court terme et à temps partiel qui viendrait compléter l’accueil familial à moyen et à long terme existents depuis 1999.
La particularité de ce type d’interventions réside dans le processus de décontextualisation environnementale souvent très utile pour surmonter les moments difficiles. Réaliser le placement dans un cadre familial et familier, et non dans un cadre hospitalier, facilite et rend moins dramatique la période de crise pour le sujet. Ce point est confirmé par Russel Bennet, responsable du «Crisis Home Programm » qui soutient que de nombreux patients ainsi pris en charge se rendent spontanément au service pour demander à être accueillis dans une famille lors d’une période de crise. On est loin des drames qui caractérisent nombreux de placements en hôpital psychiatrique, en particulier lors des hospitalisations à la demande d’un tiers.
Le traitement des périodes de crises par l’accueil familial à court terme nécessite une excellente communication entre les médecins, les infirmiers, les intervenants médico-sociaux, l’équipe IESA et les accueillants.
À moyen terme, l’intervention consiste en une phase utilitaire dans l’objectif d’une réhabilitation. On présume que le sujet est capable, dans un délai inférieur à deux ans, de retrouver une autonomie suffisante pour vivre dans un logement protégé ou dans sa propre maison. Ces programmes s’adressent généralement à des personnes jeunes et employées dans des activités professionnelles de réinsertion, ou réhabilitées dans ou en dehors des circuits psychiatriques. Cette formule demande un travail de synergie entre les agences, c’est-à-dire entre les diverses équipes du département de santé mentale sur le territoire : par exemple, assistants sociaux, psychiatres, groupes thérapeutiques que le patient continue à fréquenter. Elle se pose en alternative aux structures fermées dans lesquelles la réhabilitation est souvent compromise, ne serait-ce qu’au niveau structurel. Avec l’accueil familial à moyen terme, le sujet expérimente des relations sociales « normales » et s’émancipe de son rôle de patient. La famille d’accueil joue le rôle de nid protecteur lors des phases critiques du parcours d’autonomisation. Son travail exige une grande souplesse afin de moduler le niveau de protection assurée en fonction des besoins de l’accueilli. En ce sens, l’intervenant du IESA assume un rôle déterminant de soutien et de supervision quant à la dynamique de la relation famille d’accueil – accueilli.
L’accueil familial à long terme est d’une durée supérieure à 2 ans. Il vise davantage des personnes dont l’âge, les difficultés psychiques et physiques et les besoins d’assistance, ne permettent pas d’envisager le retour à la société dans un lieu moins protégé. Or, les familles d’accueil se révèlent parfois des espaces dans lesquels une fonction significative s’acquiert à nouveau : des personnes âgées retrouvent le rôle de grands-parents « adoptifs » avec tous les effets affectifs et relationnels ainsi engendrés, d’autres récupèrent sur le plan social et sur celui des gestes du quotidien. De telles relations sont préservées jusqu’au décès de la personne afin de lui éviter d’inopportunes et dommageables, voire de fatales successions d’hospitalisations.
Ces dernières années, l’intérêt pour l’insertion en famille d’accueil s’est développé, en particulier dans les services psychiatriques et gériatriques. On doit ce développement à l’efficacité thérapeutico-réhabilitative offerte à moindre coût. Pourtant, l’expérience nous enseigne qu’un accueil familial fondé sur la seule dimension économique est une mauvaise solution, et que cette pratique exige une grande vigilance quant à la sélection et à la formation des futurs accueillants.
Mais c’est en fait la compétence de l’intervenant qui rend possible l’alchimie transformant le social de lieu d’exclusions en espace thérapeutique. L’élément central est la famille d’accueil, véritable creuset de vie, d’expérience et de croissance protégé au sein d’un environnement social de plus en plus complexe. L’accueil familial, avec ses relations dynamiques et ses figures d’identification et d’attachement, est un lieu d’intégration et d’affection qui rend possible le retour à la vie sociale, à un rôle et à une identité nouvelle. Le patient du service de psychiatrie, le résidant de la clinique redevient un citoyen avec une vie privée, son nom sur une boîte aux lettres et sur la sonnette d’une maison, des personnes de référence qui ne sont plus des professionnels de la psychiatrie inévitablement vecteurs de relations asymétriques et artificielles.
Parallèlement à cette conquête des libertés et droits bafoués dans les institutions totalitaires, se produisent des retrouvailles avec des mécanismes de développement psychologique dont les familles d’accueil sont le support idéal. S’expérimente pour la seconde fois (et l’on espère ne pas faillir cette fois) la séparation d’avec les images parentales permettant l’individuation. À ce propos, je trouve approprié le terme « nachreifung », « post-maturation » en français, du Dr Konrad, de Ravensburg, pour illustrer le processus de l’accueil familial comme seconde chance pour que le sujet puisse se retrouver, se « frotter » de nouveau à la vie, penser que tout n’est pas perdu, soustraire son destin à la catégorie des patients chroniques, mesure assez fidèle de l’inadéquation thérapeutique de l’approche psychiatrique classique au regard du malaise psychique.
Au moins au niveau théorique, la référence dominante est le modèle socio-psycho-biologique, ou en changeant l’ordre des mots mais pas leur prégnance, bio-psycho-sociale. Un tel modèle indique très clairement les circuits dans lesquels se manifestent les changements dans l’action d’un processus de guérison.
L’attention portée à une seule de ces trois composantes caractérise les institutions psychiatriques, lesquelles entendent la thérapeutique comme une intervention exclusivement axée sur le malaise biologique du patient. Sans vouloir aucunement éliminer les hospitalisations longues, il faut reconnaître que ces solutions, caractérisées par des coûts de gestion élevés et des résultats modestes, portent en elles les traces de la culture asilaire incarnée par la concentration massive des sujets en souffrance et par leur mise à l’écart du monde et des soi-disants sains d’esprit.
La personne souffrante se trouve donc souvent être l’objet de thérapies exclusivement médicamenteuses, sans effets ou inhibantes, dans des contextes aliénés et aliénants qui ne prennent pas en considération, ou alors de manière inadaptée ou improductive, le versant psychologique et social de l’intervention thérapeutique de réhabilitation.
Il serait intéressant d’ouvrir le débat sur les raisons de cette dérive en faveur du versant biologique, sur le dogmatisme avec laquelle la psychiatrie regarde cet inefficace déséquilibre d’approche, et sur les coûts sociaux ainsi engendrés. Qui en tire avantage ? Certes pas les patients ! On notera que la formation des professionnels est validée par la diffusion des résultats d’une recherche scientifique toujours plus au service de qui la finance, toujours moins objective, s’attachant encore moins au bien-être des sujets traités. Une recherche en priorité orientée vers des objets d’étude commercialisables à grande échelle, avant tout en mesure de générer des profits. Du reste, il est désormais évident que l’espace réservé à la dignité et au respect de la personne humaine se restreint dans un système dominé par l’argent dans lequel, si l’on est atteint d’une maladie rare, on risque de ne pas trouver le traitement car l’entreprise a interrompu la production en raison des faibles ventes réalisées.
On va parler maintenant du fonctionnement concret de notre programme pour l’accueil familial therapeutique. Le service IESA, projet préparé pendant un an avant de devenir opérationnel en décembre 1998, est une expérience pilote aux niveaux national et international étant donné le cadre à partir duquel il fonctionne, à savoir le Département de Santé Mentale, et non un hôpital psychiatrique comme dans la plupart des pays. Cette différence substantielle fait contrepoids entre un modèle centré sur les hôpitaux, les cliniques ou les asiles et un modèle désinstitutionnalisé qui prend en compte le malaise psychique dans le cadre de l’intervention territoriale. D’où l’originalité et la valeur innovante de l’expérience.
L’activité est encadrée par des lois « guides » et par un contrat signé au début de la période d’essai par la famille d’accueil, le patient et le Département de Santé Mentale (DSM). Un règlement définit les bénéficiaires du programme, les organisateurs, le personnel, les prestations du DSM, les modalités de remboursement des frais d’accueil et les assurances.
La famille reçoit 930 euros par mois par l’accueilli. Le DSM, lorsque c’est nécessaire, aide l’accueilli afin qu’il dispose d’environ 150 euros par mois pour ses dépenses personnelles et de 930 euros (comme rembourse pour la famille).
L’accueil familial d’une personne revient donc à environ 1 080 euros par mois, auxquels il convient d’ajouter les coûts d’organisation administrative et de suivi thérapeutique. Au total, le coût mensuel maximum d’un accueil familial s’élève à 2 300 euros.
Le service IESA est composé d’un coordinateur et d’un certain nombre d’intervenants (counsellors) variant selon le nombre d’accueils familiaux suivis, sur la base d’un intervenant pour 10 accueillis. L’équipe doit, par ailleurs, compter sur l’indispensable instrument de supervision hebdomadaire des dynamiques relationnelles familiales. Concernant l’activité ambulatoire des infirmiers ou éducateurs auprès de l’accueilli, elle est progressivement reprise par l’intervenant IESA chargé de l’accueilli et de la famille d’accueil pour toute la durée de leur cohabitation. L’accueilli peut continuer à bénéficier de structures (telles que le centre de jour, l’intervention des assistants sociaux départementaux et autres) ceux-ci travaillant en synergie avec le coordinateur et l’intervenant du IESA tout comme les services territoriaux, psychiatriques ou non.
Les familles, après avoir suivi le parcours de sélection et de formation, sont rentrées dans une banque de données dans laquelle elles peuvent rester longtemps, parfois plus de 2 ans, avant d’accueillir un patient. Cette longue période d’attente s’inscrit dans la philosophie du IESA qui tend à éviter la systématisation pour privilégier la « bonne famille » pour le « bon patient » afin de favoriser une « bonne cohabitation». Il arrive que cette période d’attente se transforme en désistement pour des familles dont les conditions de vie ont évolué, les rendant moins favorables à l’accueil à domicile.
Les motivations des candidats sont fortement déterminées par un besoin d’intégration économique. Il est rare d’avoir affaire à des familles d’accueil en grandes difficultés financières même si, ces derniers temps, on constate une augmentation de l’intérêt de familles au chômage, sans chambre pour le patient, voire sans autorisation de séjour sur le territoire. L’existence d’une chambre à usage exclusif de l’accueilli étant la condition sine qua non pour poser sa candidature, nous sommes amenés à cesser le travail de sélection de familles qui présentent pourtant de bonnes dispositions.
La famille du patient, lorsqu’elle est présente, n’est pas a priori exclue du projet thérapeutique. Mieux, elle est l’objet d’une attente particulière afin qu’elle se transforme en ressource et non en obstacle. À travers l’information quant à l’existence du service et quant au projet que l’on souhaite actualiser avec la famille du patient, il arrive souvent que celle-ci rétablisse un contact avec lui et communique des informations utiles sur son passé.
La famille d’accueil, de son côté, n’étant pas impliquée émotionnellement dans l’histoire de l’accueilli et par ses comportements, interagit avec lui de manière spontanée. L’ambiance familiale type, représentée par les familles sélectionnées et habilitées à accueillir, est ouverte, souple, et exprime une chaleur et une affection qui ne sont pas relayées par un rôle professionnel. Elle est en mesure d’offrir soutien et assistance liés aux besoins de l’accueilli, de l’aide à programmer une journée aux conseils pour affronter les vicissitudes de la vie. Elle est par ailleurs insérée dans un système de relations ancré dans le tissu social.
En fait, la famille d’accueil du IESA est un exemple de reconnaissance et de valorisation de l’intervention non-professionnelle en psychiatrie. Au vu des écrits scientifiques, de notre expérience et des échanges avec les autres services d’accueil familial existants, et au-delà de la dimension économique retenue par l’administration, le IESA se distingue des autres modes de placements psychiatriques par la meilleure qualité de vie offerte. L’accueil familial est une solution transitoire, basée sur une assistance permanente et non-professionnelle, en vue d’un parcours ultérieur non institutionnalisé. Il a en outre été constaté que les comportements asociaux du patient diminuent et que ses capacités relationnelles s’améliorent. Le bon « monitorage » et la réduction conséquente des doses de médicaments atténuent la symptomatologie, diminuent les rechutes, et favorisent l’intégration de handicapés psychiques dans la société avec réduction de la stigmatisation et des préjugés.
Sur un autre plan, l’application du programme IESA à grande échelle aurait un effet positif sur le niveau économique de familles et de célibataires.
De plus, il répond véritablement aux objectifs de la loi Basaglia (n° 180 ; 1978) qui préconisait la fermeture des institutions asilaires et confiait aux services territoriaux le devoir de trouver des solutions pour garantir aux patients déshospitalisés un hébergement et un mode de vie à valeur thérapeutique et réhabilitative.
Accueils realisés du 1/1/1999 au 1/4/2003
Les patients envoyés au projet d’accueil familial thérapeutique sont 32.
Les patients pas aptes à l’accueil sont 10 (dont 6 pour raisons cliniques et 4 pour raisons administratives).
Les accueils realisés sont 14 et 4 en preparation.
Les renonces sont 4 ( 3 par le psychiatre et 1 par le patient).
Les situations terminées sont ancore 4 (1 patient est mort et 3 habitent maintenant des appartements supportés par les opérateurs du département de santé mentale).
Les familles agrées et formées sont 54 (dont 17 ont abandoné le projet avant de devenir accueillantes à cause des longues temps d’attente).