Paris 2002
Une proposition efficace de désinstitutionnalisation : l’insertion en famille d’accueil
Bonjour à tous.
Avant de commencer, je voudrais remercier Jean-Claude Cébula et Catherine Horel de m’avoir convié à ces intéressantes et stimulantes journées d’étude. En outre, je vous prie de m’excuser par avance pour ma prononciation de la langue française. Je remercie également Gladys Pace de son aide pour la « voix off », et Frédérique Chadli pour la traduction.
« Mauro et Giovanni ont déposé la machine à laver au milieu de la cour à l’ombre matinale du grand ficus, et à en juger par le tournevis qui dépasse de la poche de Mauro et par le regard sûr et professionnel de Giovanni, nous sommes face à une intervention délicate de réparation de la machine... dont l’issue est incertaine. En fond, la radio du cercle retransmet les notes d’un bellâtre de saison qui chante la mer, les plages et les jeunes filles généreuses de Miami, autant d’éléments qui, dans ce paysage accueillant, représentent bien l’ailleurs mais ne sont peut-être pas si intéressants. Au moins pour Mauro et Giovanni pour lesquels, à ce moment, le plus important est de réussir à réparer la machine à laver de Marisa… »
Marisa est mariée avec Mauro depuis déjà 20 ans. Elle gère avec lui un cercle récréatif avec restauration rapide pour les gens de passage et les quelques habitants du village. Fabio, leur fils âgé de 16 ans, va à l’école et donne un coup de main au bar.
Giovanni vit chez eux depuis 2 ans, après une succession de placements en clinique et de séjours en services protégés pendant une dizaine d’années. Aîné de trois frères, fils de paysans, il est né et a grandi dans un petit village proche d’une grande ville. Après avoir obtenu un diplôme de mécanicien et effectué son service militaire, il a commencé comme ouvrier dans une grande usine métallurgique. Très vite, le fardeau du quotidien normal constitué, entre autres, de travail, de relations, d’émotions et d’affections s’est révélé trop pesant pour lui. Jusqu’à le conduire à alterner des périodes de forte dépression et de grande excitation. En peu de temps, il est entré dans les catégories nosographiques de la psychiatrie en tant que patient atteint de « troubles bipolaires I ». Comme tel, il a été soumis aux traitements prescrits par les médecins qui l’ont suivi pendant ces années-là. Les thérapies pharmacologiques ont donné lieu à des effets discontinus et pas toujours thérapeutiques. En conséquence, son affaiblissement psychique progressif a amoindri ses capacités à gérer le quotidien, et des difficultés relationnelles sont apparues. Le niveau de souffrance s’est fait toujours plus insoutenable, le conduisant à intégrer des structures hospitalières. Les années passant, en raison du vieillissement de ses parents, de la maladie cardiaque contractée par sa mère et des obligations professionnelles et personnelles de ses frères, il ne lui a pas été possible de rentrer à la maison.
Il y a 3 ans, grâce au signalement d’un infirmier qui effectuait des visites périodiques, Giovanni est entré en contact avec le service local d’accueil familial. Sa vie a pris alors un autre tour, qu’il annonce en sortant du centre psychiatrique avec ses valises : « j’en ai fini de tracer des lignes inutiles sur des feuilles blanches ». Aujourd’hui, inscrit dans le cercle familial de Marisa, Mauro et Fabio, plus personne ne lui demande de tracer des lignes selon lui inutiles. Quand il le souhaite, il peut s’occuper de machines à laver, de servir le café au bar, de soirées karaoké, de la nourriture des chiens et des chats, des fréquentations du cercle… Finalement, quelque chose de différent de la douloureuse monotonie de ses symptômes et de ceux des autres patients du centre psychiatrique, brièvement rompue par les cafés et les cigarettes ou par des propositions thérapeutiques dont la seule fonction consistait à lui faire passer le temps différemment qu’à l’ordinaire, mais toujours dans le même lieu aliénant.
Aujourd’hui, Giovanni se sent utile à quelque chose et à quelqu’un. Il a un espace d’identification très éloigné du rôle de patient psychiatrique qui l’a suivi pendant 10 années passées en institution. Il gère librement son argent, et s’est offert une prothèse dentaire. Il a construit, à son rythme, de profondes relations avec sa nouvelle famille et avec des voisins et des habitués du cercle. Bien qu’il habite à 80 kilomètres de sa propre famille, il a renoué des relations avec elle, et s’y rend en visite ou reçoit ses parents.
Sur le plan de la symptomatologie, les insomnies et les épisodes maniaco-dépressifs, ainsi que les prescriptions médicamenteuses s’y rapportant, sont désormais un mauvais souvenir. Il est très content de sa vie actuelle, et ne retournerait en arrière pour rien au monde.
Marisa, Mauro et Fabio, chacun avec des perspectives et des rôles différents, ont tissé des relations de qualité avec lui, favorisant ainsi son insertion effective dans le tissu social local et son parcours de réhabilitation.
« L’ombre du grand ficus est arrivée à son minimum quotidien, et depuis déjà une demi-heure la machine à laver pose seule dans un tableau qui attire l’œil comme une erreur de la nature dans les splendides teintes de la pleine lumière naturelle. Nos deux réparateurs ne s’avouent pas vaincus et, mastiquant leur salade fraîche dans la cuisine du cercle, ils continuent à spéculer sur les symétriques et optimistes variantes du destin, désormais indubitablement artistique, de la machine à laver dont le tambour ne tourne plus. Marisa, qui ne comprend rien à la technologie des machines à laver, mais qui semble avoir les idées claires sur le devenir de son ex-fidèle machine, salue affectueusement les deux hommes et se dirige vers le bus qui l’emmène en ville, comme presque tous les mercredis, pour son bain de mondanités, de dépenses et de lèche-vitrines. Elle ne le dit pas aux deux rassurants bricoleurs, mais elle sait déjà qu’elle passera au magasin d’électro-ménager s’informer sur les prix des nouveaux modèles. La dernière machine à laver, celle qui ne fonctionne plus depuis quelques jours, lui avait coûté environ 50 euros il y a bien 20 ans. »
Il y a 20 ans, quand Marisa et Mauro unissaient leurs destins, Giovanni s’occupait encore de mécanique et ignorait que sa bonne étoile s’assombrirait bientôt, et pour une longue période. Aujourd’hui, grâce au programme IESA, il a retrouvé bien-être, sérénité et plaisir de vivre. Par IESA, il faut entendre « insertion en accueil familial pour adultes souffrant de troubles psychiques », à savoir l’intégration d’une personne suivie par un service psychiatrique dans une famille volontaire, sélectionnée et formée sur un plan plus pratique que théorique. La cohabitation qui se crée ainsi pourra compter, pendant toute sa durée, sur le soutien des acteurs du IESA.
Une telle pratique, basée sur une tradition pluri-centenaire qui trouve ses origines à Geel au 7ème siècle, est aujourd’hui connue dans la plupart des pays et est utilisée en Belgique, au Japon, en Allemagne, en France, aux Etats-Unis, en Hollande, en Suisse, en Norvège, en Suède, au Danemark, en Russie, en Italie, en Autriche, en Ecosse, en Angleterre, en Finlande, au Brésil, en Pologne…
En Italie, entre 1890 et 1920, le Patronage familial, appellation de l’époque, a connu une relative notoriété. Surtout développé dans le centre du pays, il fit l’objet de deux réglementations nationales (1904 – 1909). Au départ, cette pratique s’adressait à des personnes de tous âges, y compris à des mineurs, et pas exclusivement à une catégorie précise de patients. Actuellement, elle intervient aussi comme une réponse à la crise aiguë d’un sujet ou de son environnement familial ou autre.
Le milieu d’accueil peut être composé d’un seul membre ; l’essentiel étant que l’accueillant dispose d’un espace suffisant, occupe un rôle clair pour remplir ses fonctions envers l’accueilli, ceci avec le soutien de l’équipe.
L’objectif du IESA est de restituer à la société ces personnes qui, par une mésaventure clinico-existentielle, se sont trouvées en grande souffrance, souvent dans des conditions de solitude intense ou dans des contextes d’enfermement inadéquats et aliénants.
L’insertion en famille d’accueil peut être répartie en trois catégories : à court, à moyen et à long terme.
À court terme, l’intervention est focalisée sur la période de crise qui touche le patient ou son environnement habituel. La durée de placement varie de quelques jours à un ou deux mois selon qu’il s’agit de faire face à une acutie symptomatologique ou à un simple besoin de décontextualisation. Parfois, des personnes sont hospitalisées en psychiatrie alors que leur état ne présente pas de caractéristiques propres à justifier une telle orientation. Le motif du recours à l’hospitalisation relève objectivement de la faiblesse ou même de la crise du système dans lequel vit le patient, lesquelles se répercutent ponctuellement sur le plus fragile, autrement dit le bouc-émissaire. Actuellement, très peu d’expériences d’accueil familial à court terme sont opérantes. Les plus significatives sont le « Crisis Home Programm » du comté de Dane aux Etats-Unis créé en 1987, et les « Crisis Farm » éparpillées sur le territoire piémontais et gérées par la coopérative sociale « Alice nello specchio » de Turin et il y a quelques mois j’ai connu la situation de Lille. Depuis quelques mois, en collaboration avec l’Université de Turin et la coopérative sociale « Progest », nous travaillons aussi à un projet d’accueil familial à court terme et à temps partiel qui viendrait compléter l’accueil familial à moyen et à long terme existants depuis 1999.
La particularité de ce type d’interventions réside dans le processus de décontextualisation environnementale souvent très utile pour surmonter les moments difficiles. Réaliser le placement dans un cadre familial et familier, et non dans un cadre hospitalier, facilite et rend moins dramatique la période de crise pour le sujet. Ce point est confirmé par Russel Bennet, responsable du « Crisis Home Programm » qui soutient que de nombreux patients ainsi pris en charge se rendent spontanément au service pour demander à être accueillis dans une famille lors d’une période de crise. On est loin des drames qui caractérisent nombre de placements en hôpital psychiatrique, en particulier lors des hospitalisations à la demande d’un tiers.
Le traitement des périodes de crises par l’accueil familial à court terme nécessite une excellente communication entre les médecins, les infirmiers, les intervenants médico-sociaux, l’équipe IESA et les accueillants.
À moyen terme, l’intervention consiste en une phase utilitaire dans l’objectif d’une réhabilitation. On présume que le sujet est capable, dans un délai inférieur à deux ans, de retrouver une autonomie suffisante pour vivre dans un logement protégé ou dans sa propre maison. Ces programmes s’adressent généralement à des personnes jeunes et employées dans des activités professionnelles de réinsertion, ou réhabilitées dans ou en dehors des circuits psychiatriques. Cette formule demande un travail de synergie entre les agences, c’est-à-dire entre les diverses équipes du département de santé mentale sur le territoire : par exemple, assistants sociaux, psychiatres, groupes thèrapeutiques que le patient continue à fréquenter.... Elle se pose en alternative aux structures fermées dans lesquelles la réhabilitation est souvent compromise, ne serait-ce qu’au niveau structurel. Avec l’accueil familial à moyen terme, le sujet expérimente des relations sociales « normales » et s’émancipe de son rôle de patient. La famille d’accueil joue le rôle de nid protecteur lors des phases critiques du parcours d’autonomisation. Son travail exige une grande souplesse afin de moduler le niveau de protection assurée en fonction des besoins de l’accueilli. En ce sens, l’intervenant du IESA assume un rôle déterminant de soutien et de supervision quant à la dynamique de la relation famille d’accueil – accueilli.
L’accueil familial à long terme est d’une durée supérieure à 2 ans. Il vise davantage des personnes dont l’âge, les difficultés psychiques et physiques et les besoins d’assistance, ne permettent pas d’envisager le retour à la société dans un lieu moins protégé. Or, les familles d’accueil se révèlent parfois des espaces dans lesquels une fonction significative s’acquiert à nouveau : des personnes âgées retrouvent le rôle de grands-parents « adoptifs » avec tous les effets affectifs et relationnels ainsi engendrés, d’autres récupèrent sur le plan social et sur celui des gestes du quotidien. De telles relations sont préservées jusqu’au décès de la personne afin de lui éviter d’inopportunes et dommageables, voire de fatales successions d’hospitalisations.
Ces dernières années, l’intérêt pour l’insertion en famille d’accueil s’est développé, en particulier dans les services psychiatriques et gériatriques. On doit ce développement à l’efficacité thérapeutico-réhabilitative offerte à moindre coût. Pourtant, l’expérience nous enseigne qu’un accueil familial fondé sur la seule dimension économique est une mauvaise solution, et que cette pratique exige une grande vigilance quant à la sélection et à la formation des futurs accueillants.
Mais c’est en fait la compétence de l’intervenant qui rend possible l’alchimie transformant le social de lieu d’exclusions en espace thérapeutique. L’élément central est la famille d’accueil, véritable creuset de vie, d’expérience et de croissance protégé au sein d’un environnement social de plus en plus complexe. L’accueil familial, avec ses relations dynamiques et ses figures d’identification et d’attachement, est un lieu d’intégration et d’affection qui rend possible le retour à la vie sociale, à un rôle et à une identité nouvelle. Le patient du service de psychiatrie, le résidant de la clinique redevient un citoyen avec une vie privée, son nom sur une boîte aux lettres et sur la sonnette d’une maison, des personnes de référence qui ne sont plus des professionnels de la psychiatrie inévitablement vecteurs de relations asymétriques et artificielles.
Parallèlement à cette conquête des libertés et droits bafoués dans les institutions totalitaires, se produisent des retrouvailles avec des mécanismes de développement psychologique dont les familles d’accueil sont le support idéal. S’expérimente pour la seconde fois (et l’on espère ne pas faillir cette fois) la séparation d’avec les images parentales permettant l’individuation. À ce propos, je trouve approprié le terme « nachreifung », « post-maturation » en français, du Dr Konrad, de Ravensburg, pour illustrer le processus de l’accueil familial comme seconde chance pour que le sujet puisse se retrouver, se « frotter » de nouveau à la vie, penser que tout n’est pas perdu, soustraire son destin à la catégorie des patients chroniques, mesure assez fidèle de l’inadéquation thérapeutique de l’approche psychiatrique classique au regard du malaise psychique.
Au moins au niveau théorique, la référence dominante est le modèle socio-psycho-biologique, ou en changeant l’ordre des mots mais pas leur prégnance, bio-psycho-sociale. Un tel modèle indique très clairement les circuits dans lesquels se manifestent les changements dans l’action d’un processus de guérison.
L’attention portée à une seule de ces trois composantes caractérise les institutions psychiatriques, lesquelles entendent la thérapeutique comme une intervention exclusivement axée sur le malaise biologique du patient. Sans vouloir aucunement éliminer les hospitalisations longues, il faut reconnaître que ces solutions, caractérisées par des coûts de gestion élevés et des résultats modestes, portent en elles les traces de la culture asilaire incarnée par la concentration massive des sujets en souffrance et par leur mise à l’écart du monde et des soi-disants sains d’esprit.
La personne souffrante se trouve donc souvent être l’objet de thérapies exclusivement médicamenteuses, sans effets ou inhibantes, dans des contextes aliénés et aliénants qui ne prennent pas en considération, ou alors de manière inadaptée ou improductive, le versant psychologique et social de l’intervention thérapeutique de réhabilitation.
Il serait intéressant d’ouvrir le débat sur les raisons de cette dérive en faveur du versant biologique, sur le dogmatisme avec laquelle la psychiatrie regarde cet inefficace déséquilibre d’approche, et sur les coûts sociaux ainsi engendrés. Qui en tire avantage ? Certes pas les patients ! On notera que la formation des professionnels est validée par la diffusion des résultats d’une recherche scientifique toujours plus au service de qui la finance, toujours moins objective, s’attachant encore moins au bien-être des sujets traités. Une recherche en priorité orientée vers des objets d’étude commercialisables à grande échelle, avant tout en mesure de générer des profits. Du reste, il est désormais évident que l’espace réservé à la dignité et au respect de la personne humaine se restreint dans un système dominé par l’argent dans lequel, si l’on est atteint d’une maladie rare, on risque de ne pas trouver le traitement car l’entreprise a interrompu la production en raison des faibles ventes réalisées.
Venons en maintenant à parler du fonctionnement concret de l’accueil familial. Le service IESA, projet préparé pendant un an avant de devenir opérationnel en décembre 1998, est une expérience pilote aux niveaux national et international étant donné le cadre à partir duquel il fonctionne, à savoir le Département de Santé Mentale, et non un hôpital psychiatrique comme dans la plupart des pays. Cette différence substantielle fait contrepoids entre un modèle centré sur les hôpitaux, les cliniques ou les asiles et un modèle désinstitutionnalisé qui prend en compte le malaise psychique dans le cadre de l’intervention territoriale. D’où l’originalité et la valeur innovante de l’expérience.
L’activité est encadrée par des lois « guides » et par un contrat signé au début de la période d’essai par la famille d’accueil, le patient et le Département de Santé Mentale (DSM). Un règlement définit les bénéficiaires du programme, les organisateurs, le personnel, les prestations du DSM, les modalités de remboursement des frais d’accueil et les assurances.
La famille reçoit 930 euros par mois par l’accueilli. Le DSM, lorsque c’est nécessaire, aide l’accueilli afin qu’il dispose d’environ 150 euros par mois pour ses dépenses personnelles et de 930 euros (comme rembourse pour la famille).
L’accueil familial d’une personne revient donc à environ 1 080 euros par mois, auxquels il convient d’ajouter les coûts d’organisation administrative et de suivi thérapeutique. Au total, le coût mensuel maximum d’un accueil familial s’élève à 2 300 euros.
Le service IESA est composé d’un coordinateur et d’un nombre d’intervenants variant selon le nombre d’accueils familiaux suivis, sur la base d’un intervenant pour 10 accueillis. L’équipe doit, par ailleurs, compter sur l’indispensable instrument de supervision hebdomadaire des dynamiques relationnelles familiales. Concernant l’activité ambulatoire des infirmiers ou éducateurs auprès de l’accueilli, elle est progressivement reprise par l’intervenant IESA chargé de l’accueilli et de la famille d’accueil pour toute la durée de leur cohabitation. L’accueilli peut continuer à bénéficier de structures (telles que le centre de jour, l’intervention des assistants sociaux départementaux et autres) ceux-ci travaillant en synergie avec le coordinateur et l’intervenant du IESA tout comme les services territoriaux, psychiatriques ou non.
Les familles, après avoir suivi le parcours de sélection et de formation, sont rentrées dans une banque de données dans laquelle elles peuvent rester longtemps, parfois plus de 2 ans, avant d’accueillir un patient. Cette longue période d’attente s’inscrit dans la philosophie du IESA qui tend à éviter la systématisation pour privilégier la « bonne famille » pour le « bon patient » afin de favoriser une « bonne cohabitation ». Il arrive que cette période d’attente se transforme en désistement pour des familles dont les conditions de vie ont évolué, les rendant moins favorables à l’accueil à domicile.
Les motivations des candidats sont fortement déterminées par un besoin d’intégration économique. Il est rare d’avoir affaire à des familles d’accueil en grandes difficultés financières même si, ces derniers temps, on constate une augmentation de l’intérêt de familles au chômage, sans chambre pour le patient, voire sans autorisation de séjour sur le territoire. L’existence d’une chambre à usage exclusif de l’accueilli étant la condition sine qua non pour poser sa candidature, nous sommes amenés à cesser le travail de sélection de familles qui présentent pourtant de bonnes dispositions.
La famille du patient, lorsqu’elle est présente, n’est pas a priori exclue du projet thérapeutique. Mieux, elle est l’objet d’une attente particulière afin qu’elle se transforme en ressource et non en obstacle. À travers l’information quant à l’existence du service et quant au projet que l’on souhaite actualiser avec la famille du patient, il arrive souvent que celle-ci rétablisse un contact avec lui et communique des informations utiles sur son passé.
La famille d’accueil, de son côté, n’étant pas impliquée émotionnellement dans l’histoire de l’accueilli et par ses comportements, interagit avec lui de manière spontanée. L’ambiance familiale type, représentée par les familles sélectionnées et habilitées à accueillir, est ouverte, souple, et exprime une chaleur et une affection qui ne sont pas relayées par un rôle professionnel. Elle est en mesure d’offrir soutien et assistance liés aux besoins de l’accueilli, de l’aide à programmer une journée aux conseils pour affronter les vicissitudes de la vie. Elle est par ailleurs insérée dans un système de relations ancré dans le tissu social.
En fait, la famille d’accueil du IESA est un exemple de reconnaissance et de valorisation de l’intervention non-professionnelle en psychiatrie. Au vu des écrits scientifiques, de notre expérience et des échanges avec les autres services d’accueil familial existants, et au-delà de la dimension économique retenue par l’administration, le IESA se distingue des autres modes de placements psychiatriques par la meilleure qualité de vie offerte. L’accueil familial est une solution transitoire, basée sur une assistance permanente et non-professionnelle, en vue d’un parcours ultérieur non institutionnalisé. Il a en outre été constaté que les comportements asociaux du patient diminuent et que ses capacités relationnelles s’améliorent. Le bon « monitorage » et la réduction conséquente des doses de médicaments atténuent la symptomatologie, diminuent les rechutes, et favorisent l’intégration de handicapés psychiques dans la société avec réduction de la stigmatisation et des préjugés.
Sur un autre plan, l’application du programme IESA à grande échelle aurait un effet positif sur le niveau économique de familles et de célibataires.
De plus, il répond véritablement aux objectifs de la loi Basaglia (n° 180 ; 1978) qui préconisait la fermeture des institutions asilaires et confiait aux services territoriaux le devoir de trouver des solutions pour garantir aux patients déshospitalisés un hébergement et un mode de vie à valeur thérapeutique et réhabilitative.
« Il est 19 heures 15. Marisa est rentrée depuis une demi-heure, accompagnée de Fabio, et prépare le dîner. Giovanni discute de retraites avec deux voisins en tricot de corps. Mauro se repose sous le treillage en se balançant dans le hamac au rythme d’un paresseux attendant de dîner. Les géraniums de Marisa s’étalent aux derniers rayons du soleil dans un cache-pot cylindrique chromé : le digne et mérité repos de l’âme d’une machine à laver, fatiguée de tourner sur elle-même… »